Journée Mondiale de l'eau, Musée du Léman à Nyon

Le message des artistes

Discours d'ouverture de Bernard Garo, artiste à Nyon
et oeuvres des photographes Thomas Crauwels, Eddy Mottaz, Bernard Garo,

Vernissage de l'exposition de photos dans la cour du Musée du Léman

Je remercie la Ville de Nyon et le musée du Léman d'accueillir cette exposition << témoins de glace » organisée par le festival du film sur les glaciers auquel j'ai participé avec deux courts métrages coréalisés avec Marc Décosterd, ces 2 dernières années. 

Nous avons la chance que la Suisse soit le Château d'Eau de l'Europe centrale avec nos montagnes et glaciers. Notre pays était en effet entièrement recouvert par des glaciers il y a moins de 25'000 ans, mais depuis un siècle et demi la fonte de cet héritage universel sauvage a débuté et s'est accélérée de manière exponentielle ces dernières années. Si rien ne change, dans moins d'un siècle la plupart des glaciers alpins auront probablement disparus. Cela aura des conséquences non seulement sur la topographie, le climat, mais aussi sur l'énergie et l'approvisionnement en eau potable ce qui risque de toucher directement et indirectement un bassin de population extrêmement important avec des problématiques dont nous ne pouvons pas mesurer toute l'ampleur aujourd'hui. 

Ce genre de discours eco-anxiogène a le don de faire fuir les personnes qui ne veulent pas accepter la situation, trouver de solution ou changer, je peux comprendre que l'on n'apprécie pas la dure réalité des faits, mais pourtant il me semble important d'être conscient  afin de mieux pouvoir affronter les problèmes avec réflexion, solidarité et intelligence, car nous sommes tous responsable du monde dans lequel nous voulons vivre. 

Quelle réponse peut-on donner à tout cela ? 
En se mobilisant tous et toutes pour préserver la conscience de notre impact et en poursuivant à agir par de petits efforts à notre propre échelle et en s'exprimant là-dessus. Dans ce cadre les artistes ont leur rôle à jouer en révélant par  le beau, chacun à leur manière, cette réalité, avec équivocité préservant ainsi un peu d'optimisme et une interprétation libre. 

Les artistes participent ainsi à la transformation fondamentale et nécessaire de notre société par un éveil des consciences, stimulant la lutte pour la préservation des glaciers, non pas comme militant, mais comme créateur offrant leur lecture personnelle de ce monde. Nous tentons de donner aussi l'exemple par nos comportements éco-responsables, non seulement par une réflexion sur les matériaux ou les processus utilisés mais aussi par notre manière de travailler et d'aborder le glacier en restreignant notre propre impact au maximum, pour être en adéquation avec nos propos artistiques et environnementaux. 

Les artistes sont devenus aujourd'hui aussi des explorateurs- observateurs des changements car personne mieux que celui qui affronte le glacier peut en parler, cela permet l'apport d'un regard sensible au plus près des enjeux, qui révèle autant les tensions, les équilibres, les ruptures, les couleurs, les matières, les mouvements avec des cadrages qui portent sens et qui transposent avec subtilité les signes de la disparition des glaciers. 

Toute photo n'est justement pas qu'un spectacle esthétique ou technique, c'est une fenêtre qui ouvre sur l'émotion, l'invisible, soulignant la beauté qui risque de disparaître pour ne laisser personne indifférent. L'art contemporain a ce rôle à jouer de stimuli à une réflexion fondamentale questionnant notre vulnérabilité dans notre lien à notre environnement, sans forcément donner de solution, par pure conviction et engagement personnel, jamais pour suivre une tendance qui devient à la mode.

En effet, c'est en arpentant de maintes fois les glaciers depuis une décennie, que j'ai pris conscience de leur état et de cette dégradation accélérée qui nous mène vers leur disparition et la perte d'une mémoire anthropique de plus de 50'000 ans (âge de la glace recensée sur la glacier Gnifetti). 

Comme vous le savez tous, les saisons se lisent dans les strates de la glace au travers de l'accumulation de la pollution qui vient par les airs: métaux lourd transporté par le sable du Sahara, qui nous tombe dessus ces jours, micro plastique, mica, diatomées et déchets radioactifs comme quand le nuage de Tschernobyl avait traversé la Suisse, météorites, suies volcaniques et industrielles (ce sont les mêmes pollutions que l'on retrouve dans nos lacs). 

Cette disparition représente pour moi comme si on brûlait tous les dictionnaires qui recensent l'histoire de la langue française, c'est ce qui m'a stimulé à m'intéresser de plus près à cette problématique et de développer une approche personnelle autant picturale, cinématographique, installative que photographique qui partage cette émotion. Ce d'autant plus que je compare le glacier à un corps avec sa peau scarifiée qui ressemble à celle d'un humain, mais ce qui m'a véritablement choqué c'est la découverte des bâches en loques, noircies et flottant au vent sur le glacier du Rhône comme des bandages qui cachent les plaies de ce glacier, source du fleuve remarquable dont nous profitons de ses berges magnifiques et qui était à l'origine une simple rivière sous glaciaire, et qui sont sensés ralentir la fonte, mais qui in fine font l'effet inverse tout en enlaidissant plus encore le paysage, car leur vision fantomatique transforment la vision de cette langue de glace plus en camps de réfugié ou en linceul qu'en véritable solution efficace. 

Je suis heureux de pouvoir enfin partager mon regard et engagement artistique environnemental qui questionne notre lien au monde, chez moi, à Nyon entouré de mes amis, d'autres artistes, à la suite de la résidence art et science au Muséum d'histoire naturelle de Genève et des expositions de ce travail pluridisciplinaire dans divers lieux symboliques autant en Chine qu'à Paris, Venise, New-York et j'en passe. 

Les glaciers font partie de notre ADN à nous suisses car nous sommes les plus concernés et mieux place, compétents pour en porter la mémoire plus loin. L'art est un moyen d'échange universel qui ouvre une fenêtre sur le monde, mais aussi sur soi, ce qui est parfois inconfortable, mais Nicolas Bourriaud un célèbre critique d'art français confirme que l'art du 21 -ème siècle qui n'est pas encore dans les livres d'art ne peut-être que sociétal ou environnemental car ce sont les questions qui préoccupent profondément nos sociétés actuelles et selon Deleuze l'art du vrai permet de voir le futur et de résister à toute dérive ou manipulation et surtout à l'indifférence. 

Je vous invite donc à dialoguer avec nous avec passion sur nos œuvres, en découvrant une petite partie de notre travail, dans ce magnifique contexte. Merci !

Bernard Garo, artiste
Recherche